Pour présenter Jean Le Merdy , que dirait-on de sa peinture ? Qu'elle est simple
et solide. Et de son dessin ? Qu'il est sobre et dépouillé. Sans doute ajouterait-on
aussitôt que sa touche paraît robuste et sa palette, retenue ? Parler ainsi, c'est
affirmer d'emblée la gravité de son savoir et la rigueur de sa maîtrise , deux faits
que renforcent un isolement prolongé près des côtes de Cornouaille et, pour faire bonne
mesure, une solitude foncière. Allant vers cet art austère et tendu, on découvre qu'il
se singularise moins par une facture large et appliquée que par une approche
particulière du sujet. Oui, avant de s'affirmer comme peintre, Jean Le Merdy se
révèle comme observateur, doué de qualités sans pareilles, de patience et de respect. |
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La clé de
son domaine artistique c'est, manifestement, la sûreté d'un il éduqué dès
l'enfance et sans cesse entraîné. Tout en découle, depuis la composition du tableau
jusqu'à l'effet de surface ou l'harmonie colorée. Les repères s'effacent devant la
synthèse toujours incertaine entre le regard détaillant le motif, la transposition
téméraire sur le plan et la liberté de la main couvrant le support. Aussi le résultat
ne peut-il, tant il est inattendu, que troubler celui qui le découvre de l'extérieur.
Peu de peintres, il est vrai, ont grandi non seulement cernés par le pittoresque, comme
on peut l'être à Concarneau, mais imprégnés, tout enfants, de la vision monoculaire de
l'objectif. |
C'est un fait, issu d'une famille de photographes, Jean Le Merdy se joue avec
aisance, presque désinvolture, du cadrage et de la profondeur de champ et de la vue
plongeante, du net et du flou. Toutes notions qu'il importe non de rejeter mais de
dépasser, en transposant l'anecdote et en traquant l'insolite. C'est pourquoi le peintre
erre les quais et les grèves, passe près des usines et des chantiers, à la recherche
tantôt de casiers ou de goémons, tantôt de copeaux ou de ferrailles. Qu'on ne se
trompe pas, il n'est aucune facilité à traiter ces motifs inédits ou ces sujets
délaissés; tout au contraire, il s'agit d'une volonté résolue de construire, de
travailler le tableau au contact de la réalité, de fouiller les contours et
d'assembler les formes; bref, de solliciter les mille subtilités de la nature. |
Il
faut en convenir, le peintre est un être rare, quand sont si nombreux les producteurs de
tableaux. On ne saurait s'en étonner, chacun manie les mots, souvent avec bonheur et,
dans la multitude, combien d'écrivains ? C'est que l'art de la peinture en particulier,
exige un rapport original et peu explicable au monde extérieur. Elle est transmission
d'émotion, on dit aujourd'hui médiatrice. Et cette connaissance réclame,
pour être féconde , une inexprimable intimité. Aussi n'était-ce que par demi-surprise
de découvrir, il y a trente ans passés, Jean Le Merdy à l'atelier, multipliant les
portraits de la poule rousse qu'il tenait sous le bras! Le pinceau laisse , sur le support
plan, une trace qui rend compte de la matière observée. Sa qualité spécifique est de
parvenir ici à effleurer, là à écraser le papier ou le tissu pour y déposer la marque
d'une structure particulière, l'écaille du poisson, le sable de la grève, le grain du
rocher, la rouille de la tôle, l'épine du chardon, la paille d'une chaise
d'église. Exprimant la puissance cachée en toute substance, il transmue l'image et
touche au mystère du visible. D'un mot, il se révèle véritablement peintre. |
Autant
dire qu'un choix aussi résolu , qu'une ligne aussi permanente ne va pas sans
insatisfactions, sans échecs ni replis. Pour authentiquement discret et modeste que soit
l'artiste, le chemin suivi depuis plus de quarante ans s'éclaire de la foi dans ses
capacités , de la sûreté d'avoir pris la bonne voie, de l'orgueil - ou de la lucidité
- de n'être pas inférieur aux confrères alentours. Loin d'être antinomiques, ces
caractères, noués en inextricable faisceau, s'avèrent nécessaires à qui risque la
nouveauté, ici celle du trait rapide sur l'estran, là celle de la vague lourde , saisie
avant qu'elle ne s'effondre sur l'écueil. Difficultés inhérentes au peintre auxquelles
s'ajoutent, plus pressantes encore, celles de l'homme au quotidien, qu'il s'agisse des
deuils ou des misères de la maladie, sans omettre l'enseignement qui, trente années
durant, réduisait chaque semaine son autonomie et mobilisait à tout instant son esprit. |
On
perçoit pourquoi le trajet ne peut être linéaire ; on sent bien que les tâtonnements
l'emportent. Tous ceux qui ont regardé les uvres connaissent, chez Jean Le Merdy,
l'importance des séries. Cela est aussi manifeste pour les natures mortes, melons,
langoustes ou pommes ratatinées, que pour les paysages en extérieur, haies, fougères ou
coques oxydées. |
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Mille
sujets simples lui appartiennent en propre . Pourtant la trace la plus reconnaissable du
parcours est celle qui mène à la couleur. On connaît son penchant premier pour une
palette sourde, son affection pour les sombres paysages d'hiver, sa manière si juste de
s'approprier le bel aphorisme de Jean Deyrolle, " la Bretagne
un pays plein de
noir" (1956). Sur cette base, il échafaude patiemment, par séries successives, un
édifice sans cesse menacé qui lui permette d'atteindre une palette flamboyante. Dès
lors, il multiplie les nouveautés et affine le contrôle des rouges et des oranges,
couleurs, tous les peintres le savent, si malaisées d'emploi. Ainsi, aux audaces de sujet
et de mise en place, ajoute-t-il aujourd'hui celles de la touche et de l'intensité. |
De
longue date, admirateur de Braque et disciple du Cubisme, dans l'intransigeance de sa
construction, Jean Le Merdy s'est, depuis quelque vingt ans, placé dans la lumière de
Bonnard. Au total, l'originalité du solitaire concarnois est d'avoir réalisé une fusion
personnelle de deux influences qui figurent parmi les plus nourricières du siècle, puis
d'en avoir forgé un outil qui dynamise le sujet breton. C'est pourquoi son uvre se
charge, avec les décennies qui passent, d'une émouvante nostalgie, tant les paysages,
les techniques , qu'elles soient maritimes ou paysannes ont changé sous nos yeux. Le
remembrement a nivelé haies et talus, la mécanisation brisée brabants et moulins; plus
encore, les ports se sont encombrés de barques et d'outils obsolètes avant que d'être
usés. Alors qu'il a depuis si longtemps gommé la figure humaine de ses tableaux, Jean Le
Merdy, en raison du contact facile et sincère qu'il établit avec tous, voisins ou
inconnus, porte témoignage des Bretons d'un siècle finissant. Plus largement, parce
qu'il prend les moyens d'une peinture moderne, d'une construction sensible parée de
stridences colorées, le constat qu'il dresse, réservé et ardent, dépasse la seule
Cornouaille. |
Tout
bien considéré, Concarneau, Trévignon, Lesconil ou Tréboul apparaissent comme
prétextes; grues ou chalutiers, chaînes ou porte-avions, poissons et
oignons, vergers et tempêtes, comme autant de réalités qu'analyse et métamorphose en
tableaux le talent opiniâtre de Jean Le Merdy. Ils sont désormais offerts à tous. On le
sent bien, il s'agit dans l'ensemble non d'images convenues mais de signes clairs que seul
sans doute pouvait tracer un être aussi enraciné. L'homme reste pudique, son attitude
demeure effacée, quand l'âge venant, ses pinceaux, longtemps réfrénés, prennent une
énergie , une témérité qui nous dévoilent la cible toujours visée. De toute
évidence , pour le peintre reconnu comme pour les Stoïciens antiques, |
"Notre
vraie patrie, c'est l'univers". René
Le Bihan conservateur du musée de Brest.
Concarneau, à l'envers de l'exotisme,
construit, répare et modifie ses bateaux. Le sable d'obsidienne craché par les sableurs
sous leur scaphandre arrache une rouille qu'il disperse en poussière rouge. Les
chalumeaux découpent d'étranges sculptures promises à la ferraille. Les filets, les
ancres, les treuils, les chaînes, les poutrelles et les
bidons, les planches s'entassent, pour un jour ou pour un mois, en inextricable amas.
Jean Le Merdy ne manque jamais les rendez-vous avec les objets naufragés.
1979 : Jean Le Merdy est nommé Peintre Officiel de La Marine.
1996 : Rétrospective au Musée de La Marine à Paris. |